Proverbe indien : Tout européen qui vient en Inde acquiert de la patience s'il n'en a pas et la perd s'il en a.


lundi 21 janvier 2013

Mani, mon chauffeur



Mani, mon chauffeur

Bonne année à toutes et à tous où que vous soyez…  Good Morning Chennai est de retour ! Trois semaines passées en France, quelques problèmes sur le blog m’ont  retardé dans mes nouvelles.
Et aux futurs arrivants, n’oubliez pas que maintenant Chennai Accueil vous accueille !

Et oui, que de temps passé depuis mon dernier post. Serait-ce parce que tout est calme et paisible ? Que nenni ! Il nous a fallu quelques jours pour nous remettre dans le bain, à notre retour… et pas dans la piscine transformée en mare aux canards sans les canards ! Nous avons hésité entre la transformer en bassin d’agrément en ajoutant des nénuphars, les grenouilles ayant déjà élu domicile ou bien nous résoudre à la vider. Nous avons choisi la deuxième solution bien que cela ne nous enchantait guère de gaspiller toute cette eau.
La vider a été assez facile, la remplir a pris bien plus de temps car le moteur de la pompe était HS. La ronde des réparateurs continuent à l’heure où je vous écris, le tableau électrique du jardin et piscine a brûlé pour la troisième fois, le moteur de la pompe à eau pourtant neuf, ne fonctionne plus. Point positif, maintenant nous pourrons toujours nous laver dans l’eau de la piscine qui elle, n’a jamais été aussi transparente.
Rien que du courant… Demain sera un autre jour...

Laissons de côté toute cette intendance… Je vais vous parler d’un membre de ma fine équipe, qui elle, fort heureusement se porte bien : Mon chauffeur…

Et oui, lectrices et lecteurs de France, cela va vous paraitre un tantinet snob de vous parler de « mon chauffeur » mais à Chennai, je vous assure, c’est d’un commun ! Parce que la plupart des sociétés interdisent à leurs expatriés de prendre le volant au vu des risques encourus sur la route, elles nous confient donc à des chauffeurs indiens, des spécialistes de la conduite indienne : la « Indian style » comme dirait le chauffeur de JM. Je me demande souvent si c’est une bonne idée.

La conduite « Indian style », c’est quoi ? En quelques mots, sans s’étendre sur ce sujet déjà évoqué bien des fois dans Good Morning Chennai, c’est conduire au mépris des règles élémentaires de sécurité, c’est accélérer quand des piétons traversent pour leur faire rebrousser chemin, olé ! C’est slalomer entre les voitures en klaxonnant, c’est doubler bille en tête et rouler à cheval sur la ligne du milieu malgré le bus qui vient en face, doublant lui-même un camion.

Mais aucun risque, vous dira Murali, le chauffeur de JM ; le Dieu Ganesh bien campé sur le tableau de bord sous son petit globe de plastique (sans neige) veille sur lui et sur la voiture (mais peut-être pas sur nous !). D’ailleurs, en quatre mois, l’animal à trompe l’a trompé sur ses pouvoirs, pouvoirs probablement insuffisants car une déesse et puis encore une autre sont venues le rejoindre, une par accrochage ! Ils sont bien alignés tous les trois et attendent… la quatrième déesse… Je pense que si tout va bien, nous devrions finir sous la protection d’une forêt de porte-chance se reflétant bravement dans le pare-brise.



La protection des Dieux, on admet et on respecte. Dans tous les cas, si cela ne fait pas de bien, cela ne fait pas de mal. Mais par contre, nous avons craqué quant au grigri pendouillant au rétroviseur intérieur…  précurseur probable d’une longue série genre la guirlande de fleurs en plastique, la moumoutte sur le volant et le chien ou plutôt la vache qui hoche la tête sur la plage arrière. Habilement tenté mais là, nous avons dit non !
Nous avons aussi entrepris de former Murali aux premières règles de conduite, la tâche est rude mais c’était une question de survie pour nous !



Je vous parle souvent de Mani, mon chauffeur... toujours le même depuis mon premier jour à Chennai. Le lendemain de mon arrivée, le réceptionniste de l’hôtel m’avait appelée, tôt le matin, alors que JM était déjà parti au bureau, pour me dire : « Madame, votre chauffeur est là ». Il m’aurait dit « la voiture de madame est avancée » que je n’aurais pas été plus interloquée. Endormie, déphasée, je n’étais pas sure d’avoir bien compris. Ne sachant pas quoi répondre, je raccrochai.

Une heure plus tard, le téléphone sonnait de nouveau et le même réceptionniste au bout du fil me disait : « Madame, votre chauffeur est là, il vous attend ». Je savais qu’il était prévu que j’ai un chauffeur et une voiture mais j’ignorais qu’il serait là dès le premier jour. Je répondis que j’arrivais alors que je n’avais absolument pas prévu de quitter l’hôtel et pour aller où ? Je choisis de me rendormir, ignorant l’appel.
En milieu d’après-midi, le réceptionniste, même pas excédé, me rappelait pour la troisième fois : « Madame, votre chauffeur vous attend toujours, que dois-je lui dire ? ». Je lui répondis de lui dire qu’il rentre chez lui.
Le lendemain matin, à la première heure, on me prévint que « mon chauffeur » était toujours là. Ah oui, je l’avais oublié celui-là.
Peut-être m’avait-il attendue toute la nuit dans sa voiture ? J’eus quelques remords.

Je suis donc descendue et je le vis : Un petit bonhomme à peine plus grand que moi d’environ 50 ans, tout vêtu de blanc, la tête bien ronde, le crâne dégarni, le cheveu noir corbeau et la lèvre supérieure ornée d’une magnifique moustache du même ton. Il m’attendait, raide comme un piquet, la main sur la poignée de la porte arrière et le large sourire qui illuminait son visage jovial le rendait plutôt sympathique. Et il avait l’air en forme, j’ai donc supposé qu’il était rentré dormir.

Et sympathique, il l’est et débrouillard aussi. Je me repose entièrement sur lui pour me trimballer à travers la ville. Au début, je n’avais pas le mode d’emploi, je ne savais pas combien d’heures et de jours il devait travailler par semaine, ce qu’il devait faire en m’attendant, combien il était payé, quand il devait déjeuner, dormir.  L’idée que cette personne m’attendait toute la journée, même si je ne sortais pas, me mettait mal à l’aise. Je lui disais de rentrer chez lui mais il préférait rester. J’ai su ensuite qu’il devait travailler un nombre d’heures minimum pour avoir un salaire décent (15000 RS – un peu plus de 200 €). Sa voiture lui appartient, il la brique toute la journée, la bichonne, elle est toujours impeccable. Petit à petit, nous avons fait connaissance…

Il est toujours à l'heure, jamais une seule fois en retard... Pourtant, il habite à deux heures de notre maison. Il emmène et ramène Mathieu à l’école américaine tous les jours. Il est de la "vieille école" comme on dit ! Respectueux sans être obséquieux, juste un peu car il met un point d’honneur à ouvrir et fermer ma portière. Je prends donc mon temps pour rassembler mes affaires avant de sortir. Quand nous sommes deux ou trois à sortir de la voiture un même temps, c’est un challenge impossible. Il se précipite tel Superman pour ouvrir les portières une par une, s’emmêlant un peu les jambes, au risque de se casser le cou. J’avoue que nous ne lui facilitons pas la tâche, nous pourrions attendre sagement qu’il fasse le tour. J’ai bien essayé de lui expliquer au début que ce n’était pas nécessaire mais il m’a répondu que cela faisait partie de son travail. Si je veux le perturber, j’ouvre la portière avant lui. Cela m’arrive de temps en temps, non pas pour l’agacer mais parce que parfois je suis pressée. Je le laisse porter les sacs de courses mais je m’accroche à mes sacs personnels. Au début, nous tirions chacun de notre côté sur les anses de mon sac à main qu’il trouvait trop volumineux pour que je le porte !

Il est bavard mais uniquement si j'engage la conversation. Il n’est pas un obsédé du klaxon, grande qualité chez un conducteur indien. Il parle anglais, certes avec un accent bizarre mais le mien n’est pas meilleur… Nous nous comprenons, c’est l’essentiel. Il connait la ville pratiquement comme sa poche se faisant toujours un devoir de trouver les adresses.
Mission impossible, il ne connait pas !

Questionnant çà et là, un chauffeur de rikshaw, un vendeur de rue, un vieux gardien de maison ou un repasseur de linge, il trouve toujours l'introuvable. Et tout est fait pour brouiller les pistes car si les noms des rues principales sont indiqués, souvent dans les quartiers les rues sont numérotées : 1ère rue, 2ème rue, sans compter les impasses, les impasses dans les impasses, etc. Les numéros ne se suivent pas, probablement attribués dans l'ordre d'apparition des logements. Pour compliquer le tout, il y a un ancien et un nouveau numéro, ce qui donne ce genre d'adresse : 12/45, Third street, Anna Nagar. Il faut donc aller dans la rue Anna Nagar, trouver la 3ème rue qui n’est pas toujours après la 2ème, ni avant la 4ème  et ensuite faire les maisons une par une pour trouver les bons numéros.

Dans les missions particulièrement difficiles, en tout dernier recours et bien que ce soit une attaque à sa fierté, je lui tends mon téléphone sur lequel j’ai composé depuis longtemps le numéro du chauffeur de la personne chez qui je vais. Le réseau est imparable, bien organisé, les chauffeurs savent tout sur tout et sur vous également, chacun le sait ici. Sur votre carte de visite, son numéro de téléphone est aussi important que le vôtre pour trouver votre adresse. Et là, s’engage une conversation à bâtons rompus entre les deux chauffeurs, interminable, chacun beuglant, postillonnant et ayant l’air de ne rien écouter, enfin c’est ce qu’il me semble. Parfois, il faut rappeler une seconde fois, la durée de la conversation n’étant pas plus courte que la première. Et il faut voir son visage s’illuminer, ses yeux briller et sa moustache frétiller quand enfin, nous arrivons à bon port. Bien sûr, je suis rarement à l’heure, mais en Inde, qui est à l’heure ?

Je lui dis souvent qu’il a une excellente mémoire, bien meilleure que la mienne. Il accepte le compliment avec une modestie légèrement teintée de machisme. Ses yeux avouent qu’il pense que les hommes sont bien meilleurs en orientation que les femmes. Dans mon cas, c’est vrai, je dois l’avouer. D’ailleurs, quand il cherche son chemin, il interroge toujours des hommes, jamais des femmes.
Il est aussi mon secrétaire personnel, mon traducteur avec la multitude de réparateurs, mon négociateur quant aux prix des travaux et mon coursier pour payer les factures d'électricité, téléphone et autres.

Il m’a choquée un jour. Je ne l’ai plus regardé de la même manière pendant quelques temps et puis j’ai oublié. En Inde, on se fait à beaucoup de choses. L’interrogeant sur le congé de trois jours qu’il prenait pour aller dans sa « native place », je lui demandai si sa femme était du même village que lui. Il me répondit que oui et je le sentis hésitant sur la suite de sa réponse.
Puis se décidant, croisant mon regard via le rétroviseur, il me dit : « on s’est toujours connus, mam, on vivait dans le même village, c’est la fille de ma sœur ainée ».

« Ah ! Vous êtes marié avec la fille de votre sœur ainée ? » Répondis-je, pour gagner du temps afin que mon cerveau puisse établir le lien de parenté exact entre eux.

Quand j’eus compris et qu’il n’y eut plus aucun doute, je lui dis :
« Mais Mani, vous êtes sûr ? ». On ne sait jamais, il pouvait se tromper ou j’avais pu mal comprendre.  « La fille de votre sœur ? Mais c’est votre nièce ! ».

 « Oui Mam, c’est ma nièce. » Et voyant mon air ahuri, il ajouta précipitamment : « Je sais mam, que chez vous ce n’est pas possible de se marier avec quelqu’un de la famille proche mais dans mon village, on peut en Inde, c’est permis. C’est mieux pour garder les biens dans la famille et on se connait déjà ! ».

Et fixant de nouveau la route, il ne dit plus rien. Et moi, toujours abasourdie,  je n’osais plus croiser son regard, ni lui demander quel âge sa nièce avait au moment du mariage. Je n’avais pas envie d’en apprendre plus, ni d'entamer un discours sur les risques potentiels de la consanguinité sur sa descendance.
Depuis, j’ai appris que les mariages consanguins, bien qu’interdits, ont encore lieu notamment dans le Sud de l’Inde. Ils ont pour justification la volonté des familles de conserver les acquis sociaux et économiques obtenus avec le temps. On ne partage pas avec des inconnus, tous les biens restent dans la même famille.

Mani a un fils, un garçon de 15 ans qui a l’air de lui donner du souci. Depuis la rentrée, le fils prodige est en pension dans une école privée. Mani s’endette pour lui assurer une bonne éducation scolaire.

« Mam, je l’ai mis en pension car il avait de mauvaises fréquentations et il ne travaillait pas à l’école. Maintenant, ça va mieux ».
« 40 000 RS par an ça me coûte, mam, c’est très cher ! ».

Il a bien des défauts sinon ce ne serait pas un homme ! Il m’agace quand il accélère au lieu de laisser passer les piétons, quand il slalome entre les voitures me secouant comme un sac à patates quand il sait que je suis en retard à un rendez-vous.

Et il a un autre défaut que j’ose à peine vous avouer : il s’endort au volant !

Oui, je sais, vous allez me dire que c’est gênant pour un chauffeur. Il s’endort quand il a faim ou après le repas, un peu tout le temps en fait, quand j’y pense ! Et de plus en plus souvent au fil du temps… J’ai de plus en plus mal à le réveiller quand il s’endort en m’attendant.
Récemment, il a fallu que je lui fasse remarquer, après un coup de volant donné in-extremis pour éviter la voiture dans laquelle nous nous dirigions lentement mais surement.
« Mani, vous dormez de plus en plus, vous êtes fatigué ? Il y a un problème ? ».
« Mam, je ne travaille pas ailleurs que chez vous mais je me lève à 4h le matin et je ne dors pas beaucoup. Et puis je m’endors quand je n’ai pas pris ma collation ».
« Oui, mais qui vous empêche de prendre votre collation ? C’est un peu dangereux non ? »
«  Non Mam, ce n’est pas dangereux, tous les chauffeurs s’endorment au volant, c’est normal parce que nous habitons tous très loin ».

Si c’est normal, alors…

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