Proverbe indien : Tout européen qui vient en Inde acquiert de la patience s'il n'en a pas et la perd s'il en a.


mercredi 22 février 2012

Pondichéry et la chute du mur




Depuis mon avant-dernier billet, tout s’est enchaîné jusqu’à notre arrivée à l’hôtel il y a 14 jours. Le plus succinctement possible mais l’exercice n’est pas simple au vu de la multitude de problèmes et de personnes que nous avons rencontrés dans notre maison, je vous relate quelques faits pour vous expliquer la chute… à l’hôtel et celle du mur. Ce sera en deux épisodes, voici le premier.
Mercredi 1er février, une belle journée ensoleillée qui commençait bien puisque avec trois amies, nous avions entrepris de passer la journée à Pondichéry qui se trouve à moins de 2 heures de Chennai. Nous n’avions pris qu’une voiture et mon chauffeur était resté à la maison. Confortablement installée devant un cappuccino et un croissant croustillant commandés et servis « en français », dans un café/boulangerie, le Baker Street, je trouvais que la vie en Inde devenait peu à peu agréable.

















Et surtout, une journée en dehors de la maison, une journée sans gardien qui sonne toutes les heures à la porte pour m’annoncer l’arrivée d’un plombier, d’un électricien ou autres experts locaux en tous genres. 

Les derniers experts en date, précédant le plombier qui n’a toujours pas résolu nos problèmes de fuites, de pression et d’eau sale (voir épisode suivant) étaient les contre expertiseurs du propriétaire venus pour contre expertiser les climatiseurs jugés à bout de souffle par les nombreux techniciens qui ont défilé depuis quelques mois.

Vêtus de noir de la tête aux pieds, chaussures et casquettes comprises, un badge autour du cou arborant le nom de leur société, ils ont débarqué un beau matin, à deux, tels Dupont et Dupond, sans prévenir et sans un seul outil. 

« Nous sommes venus contre expertiser les clims, Mam ». Me dit l’un deux.
Je m’attendais presque à ce que le deuxième renchérisse : « Je dirais même plus, nous sommes venus contre expertiser les clims, Mam ».

 « Mam, vous comprenez, les clims, vous devez attendre un peu avant qu’elles se mettent en route » me dit le deuxième qui avait l’air le plus malin !

« Oui, attendre mais combien de temps, au bout d’une demi-heure, elles ne fonctionnent toujours pas » lui répondis-je.

Donc, nous avons attendu… et point d’air frais dans la pièce.
« Nous allons contre expertiser les compresseurs sur le toit » décidèrent-ils à l'unisson.
Ils y sont restés une demi-heure.

De retour dans la pièce : « Mam, tout est en ordre, vos clims fonctionnent » 
J’avais envie de leur dire « bravo, et tout ça sans un seul outil ! ».

Mais je suis restée presque stoïque et je leur ai rétorqué qu’elles soufflaient uniquement de l'air chaud et quand bien même nous resterions une journée devant, nous ne sentirions pas le moindre souffle frais sortir des engins.

A ce moment- là, un des contre expertiseurs, le plus petit des deux, se met à sautiller en l’air la main tendue au-dessus de la tête. 

Me doutant que ce n'est pas son quart d'heure de gym quotidien, je saisis qu’il essaie de se hisser au niveau du climatiseur fixé à 2,40 m du sol, pour sentir du bout de ses doigts un semblant  de fraicheur que voudrait bien cracher miraculeusement le dit climatiseur.

Au bout de quelques bonds sur place, il revient sur terre et me regarde «  Yes, mam, ça marche, regardez » dit-il en sautant à nouveau. "Si vous mettez la main plus haut devant la grille, vous allez sentir l’air frais. Essayez. Vous voyez, il n’y a pas besoin de les changer ».

Là, je ne savais plus si je devais rire ou pleurer. En tout cas, j'ai gardé ma dignité, je n'ai pas sautillé mais j’ai préféré m’énerver…


Revenons à Pondichéry, ancien comptoir français où je prenais mon petit déj avec trois amies sympas à papoter sur tout et rien.

J’étais en train de racler délicatement avec ma petite cuillère la mousse crémeuse et chocolatée déposée à la surface de mon cappuccino lorsque que mon téléphone a sonné. Quand j’ai vu le nom de Mani, mon chauffeur, s’afficher sur l’écran, j’ai tout de suite su, déjà résignée, qu’il devait se passer quelque chose d’assez important puisqu’il ne m’appelle jamais.  

« Mam, le gouvernement local est là avec la police, ils veulent casser le placard, ils veulent casser le placard avec la machine» braillait-il dans le téléphone.
« Quoi, quel placard, je ne comprends pas ce que vous dites ? » lui répondis-je
« Mam, le placard, le placard au fond du jardin». Ma compréhension de l’anglais indien au téléphone étant défaillante par moment, je passe le téléphone à une de mes amies qui comprend la même chose que moi.

Il me répétait inlassablement que le gouvernement local, c’est-à-dire les élus de la mairie et la police étaient venus chez nous pour casser le placard  au fond du jardin. Je n’y comprenais rien. Légèrement inquiète, j’appelle JM qui prévient le propriétaire, lequel rappelle pour dire qu’il n’y a pas de problème (pour les indiens, c’est toujours no problem) et qu’il envoie quelqu’un sur place.

Et puis, plus de nouvelles… et  j’avoue que je n’ai pas cherché à en avoir. Je ne sais pas si c’est de la résignation, mais les événements commencent à glisser sur moi et à fendiller ma carapace cartésienne. Les « anciennes » qui sont à Chennai me disent que c’est normal au bout de six mois et que c’est même recommandé sinon on devient fou ou plutôt folle. Voilà, je m’habitue à l’Inde et à ses habitants.

Les liens sont pour les veinardes et les veinards qui vont bientôt nous rejoindre à Chennai cet été… pour vivre des aventures inoubliables. Je tiens à leur préciser que mes récits, même s’ils paraissent insolites sont complètement vécus mais je les rassure, je connais beaucoup de familles qui vivent l’Inde moins intensément en termes d’installation. Je pense que le choix de la maison y est pour beaucoup. Quand on voit les chantiers en construction, on peut comprendre très vite pourquoi il est impossible de trouver la maison parfaite sans problèmes.
 
Super journée à flâner dans les rues de Pondichéry, ce que nous ne pouvons pas faire à Chennai et plaisir de déjeuner dans le jardin d’un restaurant français, le Satsanga - http://satsanga.co.in/Dining.aspx

Journée vraiment très agréable avant de rentrer…

Quand je suis arrivée le soir, il n’y avait plus de mur, ni de porte au fond du jardin… J'avoue que j'ai été déstabilisée et je me suis demandée si je ne rêvais pas... J'ai compris que mon chauffeur voulait parler du mur de la clôture.
 
 
Après les explications nourries de ma joyeuse troupe présente lors de la chute du mur, j’ai su que pas moins de 22 personnes (12 élus de la mairie et 10 policiers) et un bulldozer étaient présents dans notre jardin la veille. La prise de la Bastille ! Le mur et la porte ayant été abattus sans résistance, les révolutionnaires ont pique-niqué sur place.


« Mam, on a eu peur, on s’est caché (tous les indiens pauvres ont peur de la police et des politiciens…),  ils sont restés toute la journée, ils ont mangé et ils ont bu toute l’après-midi, heureusement que vous n’étiez pas là, Mam, heureusement !». 

Il m'imaginait probablement les bras en croix devant le mur et résistant au bulldozer ! Il est vrai que j’avais déjà refusé par deux fois, que les « hommes en blanc », les fameux politiciens ne viennent prendre des mesures dans le jardin. 
Mon refus avait effaré les gardiens et le chauffeur prêts à les laisser entrer.
« Mam, c’est le gouvernement local, il faut les laisser entrer, vous êtes obligée ! »
« Vous pouvez leur dire qu’ils rentreront quand ils auront demandé l’autorisation au propriétaire et sur rendez-vous avec moi, on ne débarque pas chez les gens de cette façon ! » 

Depuis, nous pensons que toute une partie du terrain n’appartient pas au propriétaire mais fait partie du domaine public. Chaque année, au mois de janvier, des actions comme celles-ci sont entreprises sur les propriétés qui longent la plage, nous n’étions pas les seuls. Ensuite en échange de quelques deniers, les propriétaires reconstruisent leur mur jusqu’à la prochaine chute l’année prochaine. Le propriétaire n'a même pas pris la peine de nous donner des explications.
Incredible India !

Et moi, qui craquais déjà avec tous ces gens qui gravitent autour de la maison, j’avais récupéré trois cow-boys en uniforme en faction jour et nuit, envoyés par la société pour sécuriser la maison... 




Et dire que je n’étais pas présente pour faire des photos, j’ai raté le reportage de l’année !

jeudi 16 février 2012

A Chennai, on fête tout, même la Saint-Valentin



Chaque matin, Sivakumar, le jardinier et Jayanthi, la maid cueillent des fleurs sur leur chemin et arrangent une composition de fleurs devant la porte. C'est le moment où je viens leur dire bonjour et je ne me lasse pas d'assister à ce spectacle. Je pense qu’ils le font pour me faire plaisir... 










Qu’en est-il des histoires d’amour dans un pays où les mariages sont arrangés par les familles ? Qu’en est-il des histoires d’amour dans un pays où les mariages inter-religieux et inter-castes sont toujours tabous ? Qu’en est-il des histoires d’amour dans un pays où le seul fait de s’embrasser dans la rue ou se tenir par la main n'est pas admis et peut-être condamnable même pour les couples mariés ?

S’il est des sujets sérieux en Inde avec lesquels on ne badine pas, entre autres, ce sont ceux de la pudeur et de l'honneur, surtout l'honneur familial. Les articles que je lis quotidiennement dans le journal me permettent de ne pas en douter une seule seconde et ils en disent long sur certaines traditions moyenâgeuses qui ont la peau dure. 
On ne peut éviter ces faits divers éparpillés un peu partout, coincés entre ceux sur les augmentations du lait et ceux annonçant la vente quasi prochaine d'une nouvelle boisson à base d'urine de vache. Si, si, vous lisez bien, de l’urine de vache.

Image empruntée à internet, car je n'ai pas encore vu le produit en rayon !
Je résume l’article.
Le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), un groupe nationaliste hindou du nord de l'Inde qui lutte contre l’occidentalisation,  
travaille sur une boisson gazeuse à base d’urine de vache et d’herbes médicinales connue sous le nom de « Gau jal » (eau de vache).

Que les lecteurs du Times of India et de ce blog se rassurent : « En dépit des inquiétudes que pourraient avoir les consommateurs sur l’odeur et le goût du breuvage, Om Prakash,  le responsable du département insiste sur le fait qu'il sera "savoureux".  Il affirme que le gau jal sera un produit sain contrairement aux sodas et pourra être utilisé pour traiter bon nombre de maladies comme le cancer, le diabète et autres maladies incurables.
 
Probablement un moyen pour les nationalistes hindous d’essayer de combattre l’Amérique en faisant baisser les ventes de Coca cola et Pepsi !
Je ne pense pas que vous le retrouviez dans les rayons de votre supermarché préféré mais méfiez vous quand même… A ne pas confondre avec le vin jaune.


Cette vache, venue nous rendre visite un matin à la porte du jardin, est loin d'imaginer que le recueil de ses urines va faire avancer le monde médical… et remplacer le soda. Elle a juste essayé de m'apitoyer pour que je la laisse, juste une minute, brouter le gazon du jardin plus alléchant que sa pitance habituelle, les déchets et sacs plastiques qui jonchent les bas-côtés des routes.



Revenons aux amoureux et à la Saint-Valentin puisque c'est le sujet de ce billet.
Il n'est pas accepté de démonstrations d'affection en public, même de la part des couples mariés alors les couples de fiancés se cachent dans les jardins pour s'embrasser, ou simplement se tenir sagement par la main. Très vite, on s’en rend compte dans les rues et les lieux publics. Je me surprends moi-même à adopter le même comportement quand JM veut me tenir par la main dans la rue. Ce qui ne change sûrement pas le jugement de l'homme indien, qui m'a déjà classée, comme pour toutes les occidentales, dans la catégorie des filles faciles. Par opposition, on voit très souvent des hommes marcher enlacés ou des femmes se tenir par la main. Récemment, j’ai vu un jeune couple assis sur la plage devant notre maison, épaule contre épaule, se tenant discrètement  la main. … Dès qu’ils m’ont aperçue, ils se sont sentis coupables et ont vite séparé leurs mains.

Peut-être parce que, dans la culture indienne, le mariage sert avant tout à fonder un foyer et avoir des enfants. On ne se marie pas parce que l’on s’aime mais on se marie pour s’aimer. Le mariage est généralement arrangé par les familles selon le niveau social et la religion.
Beaucoup de jeunes admettent encore d’être conseillés par leurs parents car ils pensent qu’ils feront le bon choix pour eux puisqu’ils les connaissent mieux que personne. Pourquoi pas s’ils n’ont pas trouvé l’âme sœur ? Là où ça se gâte, c’est quand une relation amoureuse se noue et qu’elle n’est pas acceptée par les parents. Beaucoup de jeunes se suicident suite au refus de leur famille.

Depuis quelques années, même l'Inde est touchée par le virus de la Saint-Valentin, même si cela soulève des réactions violentes de la part des traditionalistes hindous.



Ce matin dans le Times of India, il y avait une page entière consacrée à la fête des amoureux. La preuve que les mentalités changent !

Un journaliste raconte l’histoire d’amour de David et de Vijaylakshmi qui résume bien la difficulté qu’ont  certains couples pour franchir les barrières religieuses ou sociales et précise que leur histoire pourrait sortir tout droit d'un film. (soyez indulgents avec la traductrice...)

David, qui a étudié jusqu'à la seconde, est un chrétien Adi-Dravidar de Nagercoil et est chauffeur à Chennai. Sa femme, Vijaylakshmi, ingénieur en informatique, a un baccalauréat ès sciences et est diplômée de l'université MCA Stella Marie à Chennai. Elle est issue d'une famille de classe moyenne supérieure.

"Nous nous sommes  rencontrés en 2001 quand j’étais  chauffeur pour la société où elle travaillait. Pendant deux années entières, nous avons bavardé comme des amis quand je la ramenais chez elle tous les soirs. J'avais des sentiments pour elle, mais je ne pouvais pas lui dire parce que je n'étais qu'un chauffeur alors qu'elle était ingénieur avec un salaire beaucoup plus élevé que le mien. Un soir où je la ramenais chez elle, Vijaylakshmi m’a avoué qu'elle m'aimait et ensuite je lui ai fait la cour pendant un an.Tous les soirs, elle s'asseyait sur le siège arrière de la voiture et je la ramenais chez elle. Pendant cette année, nous ne nous sommes même pas tenus la main une seule fois ». explique David. 

En 2004, ils décident de parler à leurs parents, mais la famille de Vijaylakshmi s’oppose fortement à leur mariage. En Juin 2005, quatre années après leur rencontre, le couple s’enfuit à Mumbai en train.

"Nous nous sommes enfuis la nuit. Nous avons enregistré notre mariage dans un tribunal de Mumbai, le 8 Juin 2005," dit David.
Pendant ce temps, la famille de Vijaylakshmi dépose une plainte pour kidnapping et c’est le frère de David qui est arrêté. Un membre de la famille vaut pour un autre.
"Ma femme a dû écrire à la police déclarant qu'elle était venue avec moi de son plein gré», explique David. "Mon frère a été libéré, mais le père de ma femme et deux policiers sont venus la chercher à Mumbai. »
Mais Vijaylakshmi a refusé de repartir avec son père. Les policiers locaux ont laissé tomber et son père est reparti."

Aujourd'hui, David, Vijaylakshmi et leur fils de quatre ans vivent de nouveau à Chennai. Vijaylakshmi exerce son métier dans une banque et David est propriétaire de trois voitures qu'il loue.

L’article du journal ne dit pas si les parents ont enfin accepté leur mariage ou si la rupture a été totale avec eux. Cette histoire a une fin heureuse mais c’est loin d’être le cas de toutes.


Très souvent, on peut lire dans le journal des assassinats de jeunes filles ou de jeunes garçons par leur propre famille parce qu’ils vivent un amour inter-religieux ou inter-caste.

La semaine dernière, un père arrêté et interviewé a déclaré : « J’ai préféré tuer ma fille plutôt que de la laisser déshonorer ma famille en épousant un homme en-dehors de notre caste ». 

Les tribunaux de la Cour  suprême condamnent les "khap panchâyats", ces conseils de castes ultra-conservateurs qui ont encore un rôle prédominant dans la vie des villages, et parfois même dans les villes. Ils refusent l’abolition du système discriminatoire des castes et une liaison ou un mariage hors caste sont jugés par eux comme un crime. La sentence peut aller du bannissement à la peine de mort.
Bien sûr, ces crimes d’honneur sont considérés comme étant des meurtres barbares par les juges mais la tradition mène la vie dure à la démocratie, d’autant que certains magistrats et policiers n’appliquent pas la loi.




Mais de l’espoir…Toujours dans le journal d’hier, je cite : «le nombre de mariages inter-religieux et inter-castes dans le Tamil Nadu augmente régulièrement. Les responsables des enregistrements des mariages indiquent qu'au moins 10% des couples ont opté pour les mariages inter-religieux et bien qu'il n'existe pas de chiffres précis pour les mariages inter-castes, les chiffres pourraient être encore plus élevés. De nombreuses personnes ne sont pas disposées à inscrire leurs castes sur les actes de mariage (on peut supposer que ce sont les mariages inter-castes). Si les mentalités changent dans les grandes villes, ce n’est pas toujours le cas dans le monde rural. » 


Si, si, nous sommes bien en 2012, en Inde... 
Je vous promets la prochaine fois un prochain billet plus léger, la suite de nos aventures dans notre maison qui ne l’est plus puisque nous l’avons désertée pour vivre à l’hôtel. Nous sommes en quête d'un nouveau logis, pas facile ! En attendant, nous nous abandonnons aux charmes de l'hôtel Asiana... Presque le calme total, plus d'équipe à gérer, d'ailleurs, je commence à trouver la vie un peu monotone ! Mais quelque chose me dit que cela ne va pas durer...