Proverbe indien : Tout européen qui vient en Inde acquiert de la patience s'il n'en a pas et la perd s'il en a.


jeudi 16 février 2012

A Chennai, on fête tout, même la Saint-Valentin



Chaque matin, Sivakumar, le jardinier et Jayanthi, la maid cueillent des fleurs sur leur chemin et arrangent une composition de fleurs devant la porte. C'est le moment où je viens leur dire bonjour et je ne me lasse pas d'assister à ce spectacle. Je pense qu’ils le font pour me faire plaisir... 










Qu’en est-il des histoires d’amour dans un pays où les mariages sont arrangés par les familles ? Qu’en est-il des histoires d’amour dans un pays où les mariages inter-religieux et inter-castes sont toujours tabous ? Qu’en est-il des histoires d’amour dans un pays où le seul fait de s’embrasser dans la rue ou se tenir par la main n'est pas admis et peut-être condamnable même pour les couples mariés ?

S’il est des sujets sérieux en Inde avec lesquels on ne badine pas, entre autres, ce sont ceux de la pudeur et de l'honneur, surtout l'honneur familial. Les articles que je lis quotidiennement dans le journal me permettent de ne pas en douter une seule seconde et ils en disent long sur certaines traditions moyenâgeuses qui ont la peau dure. 
On ne peut éviter ces faits divers éparpillés un peu partout, coincés entre ceux sur les augmentations du lait et ceux annonçant la vente quasi prochaine d'une nouvelle boisson à base d'urine de vache. Si, si, vous lisez bien, de l’urine de vache.

Image empruntée à internet, car je n'ai pas encore vu le produit en rayon !
Je résume l’article.
Le Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), un groupe nationaliste hindou du nord de l'Inde qui lutte contre l’occidentalisation,  
travaille sur une boisson gazeuse à base d’urine de vache et d’herbes médicinales connue sous le nom de « Gau jal » (eau de vache).

Que les lecteurs du Times of India et de ce blog se rassurent : « En dépit des inquiétudes que pourraient avoir les consommateurs sur l’odeur et le goût du breuvage, Om Prakash,  le responsable du département insiste sur le fait qu'il sera "savoureux".  Il affirme que le gau jal sera un produit sain contrairement aux sodas et pourra être utilisé pour traiter bon nombre de maladies comme le cancer, le diabète et autres maladies incurables.
 
Probablement un moyen pour les nationalistes hindous d’essayer de combattre l’Amérique en faisant baisser les ventes de Coca cola et Pepsi !
Je ne pense pas que vous le retrouviez dans les rayons de votre supermarché préféré mais méfiez vous quand même… A ne pas confondre avec le vin jaune.


Cette vache, venue nous rendre visite un matin à la porte du jardin, est loin d'imaginer que le recueil de ses urines va faire avancer le monde médical… et remplacer le soda. Elle a juste essayé de m'apitoyer pour que je la laisse, juste une minute, brouter le gazon du jardin plus alléchant que sa pitance habituelle, les déchets et sacs plastiques qui jonchent les bas-côtés des routes.



Revenons aux amoureux et à la Saint-Valentin puisque c'est le sujet de ce billet.
Il n'est pas accepté de démonstrations d'affection en public, même de la part des couples mariés alors les couples de fiancés se cachent dans les jardins pour s'embrasser, ou simplement se tenir sagement par la main. Très vite, on s’en rend compte dans les rues et les lieux publics. Je me surprends moi-même à adopter le même comportement quand JM veut me tenir par la main dans la rue. Ce qui ne change sûrement pas le jugement de l'homme indien, qui m'a déjà classée, comme pour toutes les occidentales, dans la catégorie des filles faciles. Par opposition, on voit très souvent des hommes marcher enlacés ou des femmes se tenir par la main. Récemment, j’ai vu un jeune couple assis sur la plage devant notre maison, épaule contre épaule, se tenant discrètement  la main. … Dès qu’ils m’ont aperçue, ils se sont sentis coupables et ont vite séparé leurs mains.

Peut-être parce que, dans la culture indienne, le mariage sert avant tout à fonder un foyer et avoir des enfants. On ne se marie pas parce que l’on s’aime mais on se marie pour s’aimer. Le mariage est généralement arrangé par les familles selon le niveau social et la religion.
Beaucoup de jeunes admettent encore d’être conseillés par leurs parents car ils pensent qu’ils feront le bon choix pour eux puisqu’ils les connaissent mieux que personne. Pourquoi pas s’ils n’ont pas trouvé l’âme sœur ? Là où ça se gâte, c’est quand une relation amoureuse se noue et qu’elle n’est pas acceptée par les parents. Beaucoup de jeunes se suicident suite au refus de leur famille.

Depuis quelques années, même l'Inde est touchée par le virus de la Saint-Valentin, même si cela soulève des réactions violentes de la part des traditionalistes hindous.



Ce matin dans le Times of India, il y avait une page entière consacrée à la fête des amoureux. La preuve que les mentalités changent !

Un journaliste raconte l’histoire d’amour de David et de Vijaylakshmi qui résume bien la difficulté qu’ont  certains couples pour franchir les barrières religieuses ou sociales et précise que leur histoire pourrait sortir tout droit d'un film. (soyez indulgents avec la traductrice...)

David, qui a étudié jusqu'à la seconde, est un chrétien Adi-Dravidar de Nagercoil et est chauffeur à Chennai. Sa femme, Vijaylakshmi, ingénieur en informatique, a un baccalauréat ès sciences et est diplômée de l'université MCA Stella Marie à Chennai. Elle est issue d'une famille de classe moyenne supérieure.

"Nous nous sommes  rencontrés en 2001 quand j’étais  chauffeur pour la société où elle travaillait. Pendant deux années entières, nous avons bavardé comme des amis quand je la ramenais chez elle tous les soirs. J'avais des sentiments pour elle, mais je ne pouvais pas lui dire parce que je n'étais qu'un chauffeur alors qu'elle était ingénieur avec un salaire beaucoup plus élevé que le mien. Un soir où je la ramenais chez elle, Vijaylakshmi m’a avoué qu'elle m'aimait et ensuite je lui ai fait la cour pendant un an.Tous les soirs, elle s'asseyait sur le siège arrière de la voiture et je la ramenais chez elle. Pendant cette année, nous ne nous sommes même pas tenus la main une seule fois ». explique David. 

En 2004, ils décident de parler à leurs parents, mais la famille de Vijaylakshmi s’oppose fortement à leur mariage. En Juin 2005, quatre années après leur rencontre, le couple s’enfuit à Mumbai en train.

"Nous nous sommes enfuis la nuit. Nous avons enregistré notre mariage dans un tribunal de Mumbai, le 8 Juin 2005," dit David.
Pendant ce temps, la famille de Vijaylakshmi dépose une plainte pour kidnapping et c’est le frère de David qui est arrêté. Un membre de la famille vaut pour un autre.
"Ma femme a dû écrire à la police déclarant qu'elle était venue avec moi de son plein gré», explique David. "Mon frère a été libéré, mais le père de ma femme et deux policiers sont venus la chercher à Mumbai. »
Mais Vijaylakshmi a refusé de repartir avec son père. Les policiers locaux ont laissé tomber et son père est reparti."

Aujourd'hui, David, Vijaylakshmi et leur fils de quatre ans vivent de nouveau à Chennai. Vijaylakshmi exerce son métier dans une banque et David est propriétaire de trois voitures qu'il loue.

L’article du journal ne dit pas si les parents ont enfin accepté leur mariage ou si la rupture a été totale avec eux. Cette histoire a une fin heureuse mais c’est loin d’être le cas de toutes.


Très souvent, on peut lire dans le journal des assassinats de jeunes filles ou de jeunes garçons par leur propre famille parce qu’ils vivent un amour inter-religieux ou inter-caste.

La semaine dernière, un père arrêté et interviewé a déclaré : « J’ai préféré tuer ma fille plutôt que de la laisser déshonorer ma famille en épousant un homme en-dehors de notre caste ». 

Les tribunaux de la Cour  suprême condamnent les "khap panchâyats", ces conseils de castes ultra-conservateurs qui ont encore un rôle prédominant dans la vie des villages, et parfois même dans les villes. Ils refusent l’abolition du système discriminatoire des castes et une liaison ou un mariage hors caste sont jugés par eux comme un crime. La sentence peut aller du bannissement à la peine de mort.
Bien sûr, ces crimes d’honneur sont considérés comme étant des meurtres barbares par les juges mais la tradition mène la vie dure à la démocratie, d’autant que certains magistrats et policiers n’appliquent pas la loi.




Mais de l’espoir…Toujours dans le journal d’hier, je cite : «le nombre de mariages inter-religieux et inter-castes dans le Tamil Nadu augmente régulièrement. Les responsables des enregistrements des mariages indiquent qu'au moins 10% des couples ont opté pour les mariages inter-religieux et bien qu'il n'existe pas de chiffres précis pour les mariages inter-castes, les chiffres pourraient être encore plus élevés. De nombreuses personnes ne sont pas disposées à inscrire leurs castes sur les actes de mariage (on peut supposer que ce sont les mariages inter-castes). Si les mentalités changent dans les grandes villes, ce n’est pas toujours le cas dans le monde rural. » 


Si, si, nous sommes bien en 2012, en Inde... 
Je vous promets la prochaine fois un prochain billet plus léger, la suite de nos aventures dans notre maison qui ne l’est plus puisque nous l’avons désertée pour vivre à l’hôtel. Nous sommes en quête d'un nouveau logis, pas facile ! En attendant, nous nous abandonnons aux charmes de l'hôtel Asiana... Presque le calme total, plus d'équipe à gérer, d'ailleurs, je commence à trouver la vie un peu monotone ! Mais quelque chose me dit que cela ne va pas durer...




3 commentaires:

  1. ces compositions de fleurs sont vraiment superbes...
    c'est incroyable ces histoires de mariages, c'est vrai qu'on a du mal à imaginer (nous occidentaux) qu'en 2012 de telles pratiques sont courantes ailleurs que chez nous.
    Quand à votre recherche, c'est incroyable que ça prenne si longtemps... est-ce parce que vous êtes en cours d'année, c'est plus difficile ? Bon courage en tout cas

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    1. Oui, c'est une autre culture qu'il faut essayer de comprendre. Récemment une amie me racontait qu'elle avait discuté avec un indien dont la fille a fait de grandes étude et mène une vie indépendante à Dubaï. A 27 ans, elle lui a demandé de lui trouver un mari et donc de sélectionner des candidats dans leur entourage. Mon amie s'est étonnée de cette demande. Ce à quoi le père lui a répondu : "ma fille me fait confiance, elle sait que je l'aime et que je ne veux que son bonheur. Nous les parents, nous la connaissons mieux que personne et nous ferons tout pour lui trouver la bonne personne".
      Il a ajouté également "vous, en Europe, vous êtes différents, vous vous mariez par amour, vous ne vous occupez pas forcément des affinités, des caractères mais cela n'empêche pas les divorces."

      Pourquoi pas, nous ne sommes pas là pour juger mais il faut quand même savoir que le nombre de divorces commence à augmenter en Inde. Il y a quelques années, le divorce n'était pas admis notamment pour les femmes qui se retrouvent au ban de la société si elles sont seules. Beaucoup de lois sont votées pour l'émancipation des femmes en théorie mais dans la pratique, c'est autre chose. Je vous raconterai une prochaine fois la vie de Jayanthi, la maid qui travaille chez moi, le récit de sa vie est l'exemple typique de la mauvaise condition féminine en Inde. Je pense que c'est différent dans d'autres milieux sociaux.
      Pour la recherche de la maison, c'est effectivement difficile, question de prix, d'emplacement et aussi de manque de disponibilités à cette période. A bientôt

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  2. ils en mettent du temps à développer leur boisson, on en parlait déjà en 2008, je l'avais même mentionné dans mon blog à la même occasion, la Saint Valentin ;-) Les grands esprits se rencontrent
    C'est vachement sympa de te faire des compositions florales tous les matins, quand même!!!!

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