Panayur est le nouveau village où nous habitons en
banlieue de Chennai, environ à deux kilomètres de notre ancienne maison située à
Injambakkam et que nous avons quittée sans regret.
Notre
nouvelle maison se trouve dans une rue peu urbanisée et surtout habitée par des
villageois, des vaches, des serpents et des meutes de chiens errants ou non. Nous sommes dans
une des onze avenues du village de Panayur, à 25 km du centre de Chennai,
précisément dans la 7th avenue Seashore Town. Notre 7ème avenue à
nous est loin de ressembler à la Fashion street New-Yorkaise très branchée mais plutôt à une
rue d’un village se situant dans le temps, à la fin du moyen-âge. En témoignent, certaines habitations en torchis et toits de chaume, certaines petites cahuttes plus cossues en parpaings, certains hommes simplement vêtus d’un pagne autour de la taille, certains marchands ambulants qui hèlent le chaland potentiel en criant d’une voix tonitruante pour annoncer ce qu’ils vendent, certains chars à bœufs, certains vélos-charrettes, sans oublier les chiens mités et miteux, les vaches maigres dont on espère que ce ne sont pas celles qui donnent le lait que nous buvons chaque matin et les biquettes squelettiques dont les gigots ne nourriraient pas son homme lors du déjeuner Pascal. On peut rajouter aussi les femmes qui remuent leurs gamelles en fer blanc dès 5h30 du matin, les hommes qui allument les feux pour la cuisine, les enfants aux pieds nus qui jouent sans contrainte, libres comme l’air, dès 5h30 du matin également.
Dès le lever du jour, aux chants des muezzins des mosquées nombreuses dans la région et aux chants des coqs, tout ce petit monde se réveille (nous aussi !) gaiement (nous un peu moins !) dans une cacophonie de foire, émaillée de cris, de rires et de chamailleries.
Les musiques bollywoodiennes des téléphones, les mêmes musiques venant des télévisions dont le bouton de volume doit être bloqué définitivement sur le chiffre maximum sans espoir de retour vers des chiffres inférieurs, les pétarades des rickshaws poussifs, les klaxons des voitures des plus nantis de la rue (dont nous), les quelques maisons blanches et imposantes des mêmes nantis (idem) nous resituent dans l’espace-temps et nous rappellent que nous sommes bien au 21ème siècle. Au 21ème siècle indien
Vue de la terrasse sur notre toit |
Voilà. Le décor est planté. Nous nous trouvons, dans
une belle grande maison, à peu près au milieu de toute cette mouvance sonore,
au milieu de terrains non construits et sur lesquels les propriétaires
installent une famille indienne avec l’eau et l’électricité en échange de quoi leur
bien est protégé. Les résidents y font pousser des légumes, des fleurs et même des pelouses. D’autres
terrains sont à l’abandon et servent de décharges. Le contraste indien.
Nous nous plaisons beaucoup malgré l’environnement
bruyant, nous avons juste abandonné très vite l’idée d’ouvrir les fenêtres la
nuit sous peine d’insomnies chroniques.
Les dépotoirs des villageois qui jettent tous leur déchets par-dessus les murs |
Et maintenant, nous avons un éboueur de quartier qui, pour quelques centaines de roupies par mois (prix spécial expat), ramasse et trie nos poubelles tous les matins et dont je soupçonne qu’il en rejette les trois quarts dans les rues un peu plus loin pour ne garder que ce qui est recyclable et monnayable.
Par ici, Messieurs et Dames, visite guidée...
7th avenue, vers la route principale, East Coast Road (notre maison à gauche) |
7th avenue, au bout : la mer |
Notre maison vue de la rue |
L'entrée et le chien du villageois d'à côté qui comme tous les chiens errants ou non dort le jour, abasourdi par le soleil et hurle la nuit avec ses congénères |
Le poste de garde |
La voiture de JM, un peu de pub en passant... |
Vue du toit-terrasse |
Elle est belle hein ? Mais pour ceux qui nous
envieraient, je vous rassure, elle a son lot de problèmes sinon ce ne serait
pas une maison indienne et puis la vie deviendrait monotone… Mais nous sommes contents !
Cela a commencé le jour de la remise des clés et de
l’état des lieux, veille du déménagement. Enfin, au bout de un mois et demi
d’hôtel, même si la vie est loin d’y être désagréable, nous allions enfin
pouvoir nous installer. J’arrive donc,
la fleur au fusil, le sourire fendu jusqu’aux oreilles. La personne de l’agence
de location, d’habitude souriante a un
air bizarre et me susurre à l’oreille
qu’il y a un problème. Elle m’explique qu’un homme est là et affirme qu’il a
déjà loué la maison avant nous. J’ai accueilli la nouvelle avec beaucoup de
calme (après tout, j’en ai vu d’autres) et même si mon sourire s’est un
tantinet figé, j’ai plutôt été tentée de piquer un fou rire. Ce devait être les
nerfs !
Effectivement, un indien se présente comme le RH d’une
société qui, selon ses dires, a déjà loué la maison depuis plusieurs mois,
donne même un nom et que par conséquent, je ne peux pas l’habiter.
J’ai eu beau chercher la caméra cachée derrière les
arbres, rien à l’horizon, ce n’était pas une blague. Je suis donc repartie avec
la promesse de l’agence que ce devait être un malentendu.
Il a fallu attendre le retour de la propriétaire en virée
à Dubaï pour apprendre qu’il y avait un litige financier entre elle et le
précédent locataire mais ceci est une autre histoire. La chute de celle-ci est
que nous avons pu déménager trois jours plus tard.
Le pourboire est une institution en Inde. Il est exigé
pour tout, oralement sans gêne ou bien imploré du regard. Parfois, je suis
agacée de donner, parfois, je suis agacée par ma culpabilité devant la main
tendue et de savoir que là où le riche indien lâchera dédaigneusement quelques
piécettes, les étrangers que nous sommes, donneront dix fois plus. Culpabilité
et gêne vis-à-vis du pauvre hère aux chicots rougis par le bétel qui saisit
d’office mes paquets à la caisse de l’épicerie pour les mettre dans le coffre
de la voiture.
Byriani concocté par Jayanthi pour toute l'équipe et nous |
Déjeuner à l'indienne, sur les fleurs de bananier et avec les doigts |
Les deux jeunes enfants de Jayanthi et sa grande nièce |
Pendant notre séjour de un mois et demi à l’hôtel, nous
avions maintenu les salaires des personnes qui travaillaient chez nous en
espérant qu’ils nous suivraient… et ils nous ont suivis.
Nous avons donc débarqué, un beau matin de mars, la
bonne, trois de ses copines venues en renfort pour le nettoyage, le chauffeur,
le jardinier et les huit déménageurs au milieu des cinq peintres qui
peinturluraient les murs, le charpentier qui installait les étagères de la
cuisine, le plombier qui réparait la première (et surement pas la dernière)
fuite d’eau, l’électricien qui s’activait sur les prises défectueuses, l’autre
électricien-plombier (c’est comme ça qu’il se présente), qui après avoir
installé la prise du lave-linge a fait le branchement d’eau.
Très psychologues, ils ont dû me trouver inquiète car ils m’ont
répondu : « Don’t worry » quand je leur demandais si tout serait
prêt bientôt.
Il a fallu négocier longtemps et fermement avec les
peintres qui essayaient de me persuader, que la peinture tant diluée qu’elle en
était transparente et dont la couleur se situait entre blanc sale et jaune
pisseux, était d’un blanc éclatant.
« Mam, si,
c’est blanc, regardez c’est couleur « milk white » me soutenait
l’homme baptisé peintre pour l’occasion.
« Non, ce n’est pas blanc, je voudrais du blanc, pas
du « milk white », du blanc, du vrai blanc comme celui qui est au
plafond ! Et il ne faut pas diluer la peinture autant, on voit toute
l’ancienne couleur en-dessous.
« Oui, mais Mam, ça coute cher la peinture ! »
Au bout de deux jours de travail, il a fallu tout recommencer après avoir lâché quelques milliers de roupies supplémentaires !
Dès la première semaine, tout est tombé en panne et à ce
jour, nous ne sommes pas encore sortis des ronces, mais nous progressons !
Au bout d’une semaine, tout ce beau monde a laissé la
place à d’autres ouvriers, techniciens, managers en tout genre et les derniers
en date sont les électriciens et les techniciens qui campent chez nous plusieurs heures par semaine depuis un mois. Ils essaient
de nous fournir un minimum d’électricité en dehors des presque trois heures de
coupure quotidienne.
Nous avons même eu la visite de l’EDF local, la TNEB qui
installe les lignes électriques. L’ingénieur en chef, un homme très important, respectable et
respecté par une armée de petites mains suivant ses directives. Il est resté dix
minutes à observer l’armoire électrique qui avait l'air de lui livrer tous ses secrets sans bouger le petit doigt. J'étais impressionnée car je pense que le meilleur ouvrier
électricien pèterait les plombs en voyant l'installation. Au bout de cette communion recueillie devant l'autel électrique, il a décidé de nous gratifier, suprême privilège d'après nos renseignements, d’un
transformateur qui allait améliorer notre fourniture en électricité, nous
a-t-il affirmé.
Mais il a rajouté un bémol : « Cela ira mieux dans la
journée mais à partir de 18 heures jusqu’à 22h00, vous aurez encore des
problèmes car il n’y a pas assez de courant pour tout le monde dans le quartier ». Effectivement...