Proverbe indien : Tout européen qui vient en Inde acquiert de la patience s'il n'en a pas et la perd s'il en a.


dimanche 22 janvier 2012

Bad fatality et Happy Pongal


La qualité des photos de Good morning Chennai devrait s’améliorer dans les semaines à venir, je suis en stage photo et je découvre les fonctions de mon appareil... 

Visite au temple





 Dans la rue, l'eau à la pompe...


« Mam, le week-end prochain, c’est Pongal et je pars quatre jours dans mon village natal » m’a annoncé Mani, mon chauffeur, la semaine dernière.   
Ont suivi, Jahanthi, la maid - Murali, le chauffeur de JM - Sivakumar, le jardinier - le « swimming-pool man » - papy flingueur et le footballeur, les deux nouveaux gardiens en poste depuis le 1er janvier, tous nous ont dit qu’ils partaient fêter Pongal, la fête des moissons, avec leurs familles. 
Je me suis dit : "Enfin un peu de calme à la maison !"

Pongal, c’était donc du 14 au 17 janvier. J’avais demandé quelques explications à mon agence de renseignements habituelle. 
Mon agence de renseignements c'est mon chauffeur Mani et il est maintenant assisté de Jayanthi arrivée il y a 3 mois...  Elle l'appelle Brother Mani car il est plus âgé qu’elle. Des vrais pipelettes et au courant de tout. Très subtilement, ils me renseignent sur le comportement que je dois, que je devrais avoir en tant que "boss" vis à vis des personnes qui travaillent ici. J'ai découvert petit à petit, et à mes dépends, que la camaraderie n'est non seulement pas recommandée mais mal jugée par eux. Il faut toujours avoir l’air de savoir ce que l’on veut… Pas facile.
"Mam, aujourd'hui vous avez dit que je dois faire le repassage, le dîner de ce soir et laver les sols. Par quoi je dois commencer ? " me demande Jayanthi le matin.
Je lui réponds : "Vous faîtes comme vous voulez, cela m'est égal pourvu que tout soit fait".
"Non mam, vous dîtes, c'est vous qui décidez dans quel ordre je dois faire".

Je vous en parle souvent, probablement parce que c’est un problème pour moi, sept personnes travaillent ici… je sais, vous m'enviez et j’avoue, vu de l’extérieur, il y a de quoi mais si vous saviez le temps et l’énergie que cela nous prend pour gérer tout cette petite entreprise, vous y réfléchiriez à deux fois. 

Ce qui me semblait au départ une vie facile où tout ronronnait doucement n'était qu'illusion ! En fait, nous vivons sur le même terrain mais sur deux planètes différentes.

Nous remplissons tous les rôles : patron, chef d’équipe, RH recruteur, psychologue, médiateur, docteur, confident, banque (prêt sur deux ans pour l’achat d’une moto au chauffeur de JM), sécurité sociale (participation aux frais de soins), gestionnaire de maintenance (pour gérer le ballet de plombiers, électriciens et autres ouvriers… qui circulent presque chaque jour dans la maison) et comptable (paies, lettres d’embauche, voire de licenciement)…
Condition très importante, il faut que tout ce petit monde s’entende à merveille ! Les deux précédents gardiens ne plaisant pas au reste de la troupe, il a fallu changer (sans regret car ils étaient antipathiques). 

Et pour finir, composer avec le système des castes ou de sous-castes (parait-il aboli en 1948 après l’indépendance), qui décide qu’il est impossible à un indien hindou de s'élever plus haut que le niveau spirituel ou social dans lequel il est né. Dans les milieux éduqués et dans les villes, le système des castes tend à s'effacer, mais pas dans les campagnes où vit la majorité de la population, c’est le cas aussi à Chennai et je le ressens tous les jours.

Et la fameuse fatalité indienne, si détestable à mes yeux. Dixit le proverbe mis en tête de mon blog… je devais avoir un tant soit peu de patience car je l’ai carrément perdue !

J’essaie bien de comprendre cette culture où la fatalité qui impose que les plus faibles doivent subir le pouvoir des plus riches est normale. C’est toute la perversité du système des castes si utile aux plus riches : être pauvre est une fatalité contre laquelle on ne peut rien, se rebeller ne sert à rien et on doit respecter et admirer les riches. 
Les indiens pauvres vénèrent les indiens riches, car avec leur croyance en la réincarnation, s’ils respectent les règles des hiérarchies sociales et économiques et ne s’apitoient pas sur leur sort, ils sont en droit d'espérer une vie meilleure dans leur prochaine existence. Donc, il faut créer autant de karma positif lors de son vivant pour se réincarner dans une caste plus élevée dans une prochaine vie.
Selon la même logique, celui qui vit bien et occupe une position élevée mérite sa condition puisque pour y arriver, il a sûrement mené de bonnes vies antérieures. Il peut donc se permettre de mépriser les gens des basses castes et même considérer, en les maltraitant, que cela les aidera dans leur cheminement vers une meilleure prochaine incarnation. 
Cette croyance en la réincarnation leur permet de penser que rien n'est grave et d'accepter les événements tragiques. Ils ne pensent qu'au jour présent et ne se permettent pas une seule seconde de faire des projets d'avenir. Une exception peut-être, l'espoir qu'ils mettent dans l'avenir de leurs enfants. Jayanthi qui a 25 ans et élève seule ses deux enfants depuis que son mari l'a quittée, m'a dit l'autre jour :

"Mam, C'est très important pour moi que mes enfants aillent à l'école et qu'ils apprennent l'anglais. Je préfère me priver ou ne pas manger pour que mes enfants aient une bonne éducation pour avoir un bon métier plus tard."

Enfin, un peu d'espoir dans ce monde fataliste !

Paradoxalement, s’ils ne se rebellent pas contre les riches, les indiens pauvres sont souvent prêts à tout, sans complexe, lorsqu’il s’agit de pouvoir et d’ascension sociale dans leur propre milieu et vis-à-vis de leurs congénères de galère. Nous avons un exemple édifiant sur notre terrain en termes d’exploitation de son prochain, pour s’élever dans une future meilleure vie, notre ancien manager. 
Ce comportement me parait complètement injuste …  tous les moyens sont permis pour l'exploiteur et surtout acceptés par les exploités. 

Donc j’accepte certains comportements en râlant et j’essaie d’appliquer quelques-uns des miens en arguant que je suis étrangère et que c'est ma maison. Ils arrivent à comprendre que je ne comprends pas car je ne suis ni indienne, ni hindoue… En clair, je suis une ignorante… et on pardonne à l’ignorante, un peu comme on pardonne à la folle du village !

Aujourd’hui, on peut dire que tout fonctionne à peu près mais demain, nous ne savons pas… demain est un autre jour.

C'est Jayanthi qui n’a pas froid aux yeux et qui a osé me confier un matin, en décembre :
« Mam, big security man doesn’t want that gardener drink drinking water ».

Probablement encore une histoire de caste… le garde, pourtant arrivé après le jardinier, avait jugé que celui-ci n’était pas digne de boire de l’eau potable en bonbonne (fournie par nous). Le jardinier, depuis plusieurs jours buvait l’eau insalubre du puits ! Il a fallu faire de nouveau un meeting pour mettre les choses au point…qui se résume toujours de cette façon : 
« Dans notre maison, tout le monde est au même niveau, personne ne commande personne, tout le monde a les mêmes droits, tout le monde a le droit de boire de l’eau potable… "etc.  

Je me fais plaisir avec ce discours car ils ne le comprennent pas... il suffirait simplement de donner "l'ordre" : "Je veux que tout le monde boive de l'eau potable"
Argumenter en leur expliquant la notion d'égalité de droits entre eux ne sert à rien s'ils ne sont pas au même niveau dans la hiérarchie des castes, mais cela m'a fait du bien à moi ! 

Pongal, c’est le nouvel an indien et on remercie la nature pour les bonnes récoltes, les moissons fructueuses, ce qui donne lieu à un festival et beaucoup de festivités. Pour cette occasion, les indiens retournent dans leur « native place" pour quatre jours.
On achète de nouveaux vêtements, les femmes préparent des plats traditionnels, on mange de la canne à sucre et on décore le devant des maisons avec des kolams.

Mais que veut dire Pongal… en tamoul, cela veut dire littéralement « bouilli par-dessus », c’est le nom de la préparation à base de riz, de lait et de sucre.
Quatre jours de fête… Le premier jour est fêté en famille en l’honneur du Dieu Indra (dieux des nuages qui donnent bien sûr la pluie), les vieux tissus et vieux vêtements sont jetés, voire brûlés pour marquer le début d'une nouvelle vie. Bon, ils m'ont avoué, ils ne jettent pas tout mais tout le monde a le droit à une tenue neuve et les maisons sont nettoyées de fond en comble.

Le deuxième jour, c’est le jour du Pongal. On met à bouillir du riz avec du lait frais et de la mélasse ou du sucre brun, tôt le matin, en laissant le mélange déborder. On prépare des en-cas et des desserts, on se rend visite et on échange des vœux. 

Le troisième jour, Mattu Pongal, est destiné à rendre grâce aux vaches et aux buffles.  On les lave et on leur décore les cornes (ce qui ne doit pas être une mince affaire vu le nombre de vaches errantes dans les rues).
J’ai cherché plus de détails sur internet : la légende dit que le bétail accepta d'aider l'homme à labourer les champs, à la seule condition d'être fêté et honoré une fois par an.









 

Nous ne sommes plus en campagne électorale à proprement parlé mais les affiches des différents partis politiques fleurissent tous les jours dans les rues de la ville… On ne laisse pas les électeurs sans nouvelles, c’est un combat permanent. En photo, la Chief minister du Tamil Nadu, Jayalalitha du parti majoritaire. Jayanthi, la maid, m'a dit qu'elle avait la télévision chez elle. Je lui ai rétorqué que ce devait être un achat couteux pour elle. Elle m'a répondu
qu'elle lui avait été offerte par Jayalalitha en échange de sa voix lors des élections.





Le dernier jour, Kanum Pongal  est le jour où les indiens sortent en famille dans les parcs ou se rendent visite.

L’ambiance était donc festive le vendredi dernier avant leur départ. C’est une des deux fois dans l’année qu’ils prennent quatre jours de vacances pour se rendre dans leur village. On le serait à moins ! L’autre occasion est pour Diwali.



Jayanthi nous a proposé de fêter Pongal avec nous pour nous initier à la tradition indienne. Aidée de Sivakumar, elle a dessiné des kolams devant la maison. L’art du kolam est une tradition très ancienne en Inde, notamment dans le sud et il est transmis de mère en fille. Il est tracé en signe de bienvenue pour les visiteurs et à l’occasion des fêtes. Si le kolam de tous les jours est de couleur blanche, celui dessiné lors des fêtes religieuses comme Pongal est plus sophistiqué et en couleurs.
Le sol est préalablement lavé avant de dessiner les contours du kolam avec une poudre blanche, en général la chaux a remplacé la poudre de riz utilisé dans le temps. Les motifs sont commencés par le centre et c’est avec le pouce et l’index que la poudre est déposée à main levée… J’ai essayé, ce n’est pas si simple ! Ensuite la poudre blanche est mélangée avec des pigments de couleur et on remplit les motifs.









Happy Pongal en tamil








Vendredi matin, Jayhanthi a préparé le riz mais sans le laisser déborder sur la gazinière, c’est elle qui nettoie ensuite, a-t-elle fait remarquer !





 

Nous leur avons offert à chacun une boîte de gâteaux indiens achetés Ananda Bhavan, le spécialiste des gâteaux indiens. Ils sont délicieux et ressemblent aux pâtisseries algériennes ou marocaines.



3 commentaires:

  1. Bonjour Christine,

    Je m'appelle Aurélie, je suis nouvelle sur Chennai. Mon mari et moi sommes arrivés en décembre. J'ai trouvé votre article intéressant sur les inégalités sociales. J'ai un chauffeur et je culpabilise tout le temps si on rentre tard etc... Vous dites que vous êtes en train de suivre un stage photo pouvez-vous me donner les coordonnées de l'organisme qui organise ce stage svp? Merci. Bonne Journée.

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  2. Les photos sont déjà super, j'ai hâte de voir les suivantes post-stage !

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  3. Merci Yen... ce n'est pas gagné, mes photos étaient meilleures en automatique !

    Aurélie, je te donne un e-mail sur lequel tu peux m'écrire yoboseho@gmail.com, je te répondrai au sujet du stage photo.

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